3 questions à… Ingrid Voléry, sociologue
Comment distinguer les éléments qui séparent les générations ? Ingrid Voléry, sociologue au Laboratoire de recherches des territoires, du travail, des âges et de la santé (TETRAS), et professeure à l’université Nancy-Lorraine, nous éclaire sur la notion d’âgisme, mais aussi sur ses limites.

Le concept d’« âgisme » est créé à la fin des années 1960 par le gérontologue social américain Robert Butler, un scientifique qui étudie le vieillissement et ses enjeux. Mais pour Ingrid Voléry, sociologue basée à Nancy, l’âgisme est aujourd’hui une notion déformée et instrumentalisée par le monde politico-médiatique, posant de ce fait un problème sur le plan scientifique.
1/ Qu’est-ce que l’âgisme ?
« Il faut d’abord différencier la notion d’âgisme de celle de « sociétés structurées autour de groupes d’âges ». On peut définir un groupe d’âges à l’aide de différents critères, comme la majorité ou la retraite. Quand on devient retraité, on perd en pouvoir d’achat mais on gagne du temps, donc ce n’est pas forcément un critère défavorable pour l’individu.
L’âgisme désigne ainsi un traitement discriminatoire envers les personnes âgées. Dans nos sociétés occidentales, on diffuse des représentations sociales ou des stéréotypes en fonction des âges. Par exemple, le déconfinement progressif durant la pandémie de Covid-19 par générations, qui était souhaité par certains politiques mais qui n’a pas été appliqué, on peut dire que ça aurait été une mesure discriminatoire concernant l’âge. »
2/ Comment l’âgisme influence-t-il les rapports entre les générations ?
« Pour répondre complètement à cette question, il faut distinguer la vision du lien intergénérationnel à l’échelle macro (celle des représentations générales et du sens commun) de l’échelle micro, soit le concept de lien intergénérationnel à l’échelle des individus dans leur quotidien. De multiples enquêtes ont montré que, dans l’imaginaire collectif, les jeunes associent la vieillesse à l’Alzheimer, à la perte de capacités cognitives.
Dans le même temps, pour les plus âgés, les jeunes sont souvent associés à l’esprit de contestation. Or, on constate que ce sont des représentations stéréotypées à partir du moment où l’on observe les rapports entre les petits-enfants et leurs grands-parents au quotidien. Évidemment, les grands-parents ont transformé leur façon d’être dans leurs relations avec leurs petits-enfants, par exemple en étant plus dans l’accompagnement, là où il s’agissait auparavant d’un rapport d’autorité. Donc, le lien intergénérationnel n’a pas disparu, loin de là. »
3/ En quoi le concept d’âgisme devient limité pour aborder la question des générations dans nos sociétés contemporaines ?
« Il faut comprendre que l’âgisme est un concept très confus et réducteur pour parler d’une problématique beaucoup plus large qui concerne les âges et les générations. Pour être honnête, il y a différentes conceptions de l’âge à distinguer : l’âge chronologique, qui se base sur le nombre d’années écoulées depuis notre naissance ; l’âge somatique, lequel se caractérise par les évolutions sur l’organisme en fonction de l’âge ; et l’âge subjectif, à savoir l’âge ressenti par un individu. Deuxième point : je pense que l’âgisme est un concept qu’utilisent beaucoup les institutions (politiques, médiatiques, militantes), parfois même en le déformant, mais qui est aujourd’hui un peu « fourre-tout » sur le plan scientifique.
Par exemple, certaines associations environnementales reprochent aux plus vieux d’avoir dilapidé les ressources naturelles, là où les jeunes générations auraient développé une conscience écoenvironnementale plus importante. Alors, qu’en réalité, on remarque que beaucoup de personnes âgées se mobilisent aussi pour le climat. »
Propos recueillis par Benjamin Moindrot