Évelyne a 64 ans, ses parents plus de 95. À cause du Covid et de la crise sanitaire, elle est devenue leur aidante. Depuis cinq ans, elle supporte quasiment seule ce statut et cette charge malgré deux sœurs et un frère qui pourraient l’aider. Entre devoir familial, charge mentale et introspection, cette jeune retraitée de Meurthe-et-Moselle raconte son quotidien bouleversé, comme tant d’autres.

« Je n’ai jamais imaginé ma retraite au chevet de mes parents », lance d’emblée Évelyne. La chose est dite clairement, revendiquée presque. Mais le Covid en a décidé autrement. Dès mars 2020, elle doit les aider dans tous les domaines du quotidien : courses, administratif, médical et même… informatique. C’est elle et son mari qui mettent en place les visioconférences avec le reste de la famille, pour tenter de rompre l’isolement.
Puis c’est la liberté recouvrée grâce au déconfinement. C’est aussi le début du déclin pour ses parents : sa mère déprime, son père ne peut plus conduire. La dépendance devient évidente.
« Ça m’a permis de comprendre certaines choses sur mon éducation et de leur pardonner des erreurs »
Évelyne
Alors Évelyne endosse à nouveau la charge d’aidante : « J’ai choisi de les aider pour qu’ils continuent à aimer vivre ». La proximité géographique (moins de dix kilomètres) lui permet de venir chez eux plusieurs fois par semaine. Un fardeau paradoxal qui contraint Evelyne mais lui offre des moments rares avec son père et sa mère.
« En venant quatre fois par semaine, j’ai appris à vraiment les connaître, à dépasser la relation parents-enfant que j’avais jusque-là ». Elle les sent plus à l’écoute, plus empathiques : « Ça m’a permis de comprendre certaines choses sur mon éducation et de leur pardonner des erreurs ».
Seule au monde
Ce qu’elle ne pardonne pas, c’est la solitude dans laquelle ses frères et sœurs la plongent : « Comme je suis la plus proche, ils considèrent que je dois en faire plus. Et quand je leur dis que je n’en peux plus, que je suis aide à domicile 20 heures par semaine, ils répondent que je m’organise mal ». Un dialogue de sourds s’installe, Évelyne contre sa fratrie et les parents au milieu.
En juin 2024, elle craque, la charge devient trop lourde. Une connaissance lui parle alors de La Maison Des Aidants à Nancy. Elle appelle un matin ; l’après-midi, elle participe à un groupe de parole. Le soulagement enfin.
Aider les aidants
Service de l’Union Départementale des Associations Familiales (UDAF 54), La Maison Des Aidants (LMDA) propose des accompagnements individuels et collectifs pour toute personne qui soutient un proche dépendant (maladie, handicap, grand âge, addiction…). Océane est travailleuse sociale pour la structure et voit tous les jours des gens en souffrance : « On cherche ensemble des solutions pour soulager les aidants. Le but est aussi de les déculpabiliser, c’est normal de demander de l’aide ».
Entre janvier et décembre 2023, LMDA a reçu 653 aidants et leur a proposé des « activités de répit », des ateliers, des rendez-vous, des formations… comme à Évelyne, qui sort peu à peu la tête de l’eau.
« J’essaye de prévoir ma propre vieillesse pour ne pas embêter mes enfants. Je ne veux pas être une charge pour eux »
Évelyne
Aujourd’hui, l’équilibre reste précaire pour la sexagénaire. Évelyne gère mieux la charge mentale et son appel au secours a été partiellement entendu par ses frères et sœurs : ils viennent à tour de rôle quelques jours par mois. Elle s’autorise aussi à ne pas penser du tout à ses parents bien que leur santé s’accroche toujours dans un coin de sa tête. Avec en ligne de mire, le moment où elle ne pourra plus les accompagner, où ils quitteront leur maison.
« Ma génération est la première qui n’a pas envie d’envoyer d’office ses parents en maison de retraite. On voudrait qu’ils partent apaisés dans leur sommeil mais c’est rarement le cas ». Cette expérience a-t-elle changé sa vision du grand âge ? « Oui, maintenant j’essaye de prévoir ma propre vieillesse pour ne pas embêter mes enfants. Je ne veux pas être une charge pour eux ».
Une gageure quand on connaît la trajectoire démographique de la France : en 2021, 27% de la population française avait plus de 60 ans (18,1 millions de personnes) selon la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES). Un chiffre amené à augmenter dans les années à venir.
Clément Lecourt