Confrontés très tôt à des images sexualisées, les enfants ont besoin de repères. La tâche revient aux adultes de les protéger. Mais comment aborder ce sujet sensible sans maladresse ni tabou ? De la juste posture à adopter aux mots à utiliser, en passant par la prévention face à la pornographie ou aux abus, Sophie Pilcer, sexologue à Nancy, encourage les parents à libérer la parole, sans pression ni surperformance.

Bavard’Âges : À partir de quel âge peut-on parler de sexualité à un enfant ?
Sophie Pilcer : « Très jeunes, les enfants et adolescents sont imprégnés d’images de sexe. On peut déjà dire des choses à des enfants. Il ne faut pas se mettre de pression, écouter ce que dit l’enfant et répondre comme on peut. Il faut s’adapter à leurs demandes. Aujourd’hui, les parents ont envie d’être parfaits et se mettent une anxiété de performance. Ils ont peur d’être des incitateurs ou que leurs enfants soient traumatisés. La seule chose qui est importante, c’est de ne jamais parler de sa propre sexualité à ses enfants. »
Est-ce qu’il y a des mots à privilégier ?
« Il y a surtout des mots à proscrire. Tout ce qui est de l’ordre du familier, de la vulgarité, des mots du sexe… Si un enfant ou un adolescent emploie un de ces mots, il est du devoir du parent de donner le terme technique. Pour les enfants on a des petits mots rigolos comme “kiki”. Il peut y avoir des mots inventés ou imagés. Mais on a aussi le droit d’employer le mot “vulve” ou “pénis” avec un enfant. Ce ne sont pas des gros mots. On dit simplement les choses proprement. »
Comment peut-on protéger les enfants de la pornographie en accès libre sur internet ?
« C’est très compliqué. Il faut absolument gérer et contrôler les écrans des enfants. Il est très difficile d’être certain qu’ils n’auront pas accès à des images pornographiques. Donc il faut toujours ouvrir le dialogue. Expliquer à l’enfant que la pornographie est de la science-fiction. Ce n’est pas la réalité. C’est le Star Wars ® du sexe. La seule chose qu’on a pour contrer la pornographie, ce sont les paroles. Parler de la première fois, des peurs, du désir… démythifier tous ces scénarios. »
« Je conseille souvent aux parents de ne pas être yeux dans les yeux avec leurs enfants, mais de leur parler lors d’un trajet en voiture ou lors d’une balade par exemple. »
Sophie Pilcer, sexologue, sur la manière d’aborder le sexe avec ses enfants
Comment aborde-t-on le sujet de la pédocriminalité sans faire peur à l’enfant ?
« Il faut très vite apprendre à l’enfant que son corps lui appartient. Il faut lui expliquer que personne n’a le droit de le regarder tout nu, le toucher… Les enfants écoutent les mots mais s’imprègnent aussi des comportements. C’est une attitude globale. Il faut dire à l’enfant de parler si jamais des choses l’ont dérangé. Toujours être à son écoute. »
Comment inculque-t-on la notion de consentement à un enfant ?
« C’est là aussi une question d’attitude. Si on est dans une attitude d’adulte qui respecte l’enfant et son corps, et qu’on lui apprend aussi à être dans ce respect, on entre déjà dans la notion de consentement. Il y a deux choses essentielles pour le consentement quel que soit l’âge. Toujours pouvoir exprimer ses besoins et écouter ce qu’il se passe de l’autre côté. »
Avez-vous ressenti une évolution dans la façon qu’ont les parents de parler de sexualité avec leurs enfants ?
« Non, les parents sont toujours terrorisés par cette question. Certains disent que ce n’est pas leur rôle. Ils sont de plus en plus peureux et ils ont de plus en plus envie d’être d’excellents parents. C’est un sujet complexe pour tout humain. Comme pour tout, il n’y pas de parent parfait pour parler de sexualité. Il y en a pour qui ce sera plus facile que pour d’autres. Mais il ne faut pas se forcer. On n’est pas obligé d’envahir la maison de préservatifs. On fait ce qu’on peut quand on est parent. On peut rester sur quelque chose de très informatif. Je conseille souvent aux parents de ne pas être yeux dans les yeux avec leurs enfants, mais de leur parler lors d’un trajet en voiture ou lors d’une balade par exemple. »
Justement, est-ce que c’est le rôle du parent de parler de sexualité avec son enfant ?
« Je pense que c’est important que les parents puissent ne pas éluder ce sujet. C’est le rôle des parents de ne pas rendre le sujet tabou. On ne peut pas mettre ça sous le tapis. »
Propos recueillis par Alexis Vaury
L’oeil de Sophie Pilcer sur le nouveau programme scolaire d’éducation à la vie affective et sexuelle À la rentrée prochaine, le nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité entrera en vigueur dans l’ensemble des établissements scolaires, de la maternelle au lycée, à raison de trois séances annuelles. Proposé par le ministère de l’Éducation nationale, le programme est scindé en deux parties. À l’école maternelle et primaire, l’apprentissage est centré sur la vie affective et relationnelle. Dans les collèges et lycées, les thématiques seront plus complexes. La sexualité et la santé seront notamment au cœur des échanges. « Cette éducation à la sexualité n’est pas nouvelle. Ça fait 20 ans que je parle de sexualité aux enfants et adolescents. Je crois que quand on en parle dans une salle de classe, il est important de ne pas se cantonner aux IST, aux problèmes de grossesse… On n’est pas là pour faire un cours de SVT. (…) Avec un enfant de maternelle ou de primaire, c’est finalement lui apprendre à protéger son corps. On va parler avec des mots d’enfants et des supports. Ça ne peut que se faire en interactivité. Il n’y a pas de discours à plaquer. » |